Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/307

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prenions notre misère et notre impuissance. L’eau montait ; les voix rauques de la Durance nous appelaient avec colère. Alors, j’éclatai en sanglots, je pris Babet entre mes bras frémissants, je suppliai Jacques de venir près de nous. Je voulais que nous mourions tous dans une même étreinte.

Jacques s’était remis à la fenêtre. Et, brusquement :

— Père, cria-t-il, nous sommes sauvés !… Viens voir.

Le ciel était bon. Le toit d’un hangar, arraché par le courant, venait d’échouer devant la fenêtre. Ce toit, large de plusieurs mètres, était fait de poutres légères et de chaume ; il surnageait, il devait former un excellent radeau. Je joignis les mains, j’aurais adoré ce bois et cette paille.

Jacques sauta sur le toit, après l’avoir fortement amarré. Il marcha sur le chaume, s’assurant de la solidité de chaque partie. Le chaume résista ; nous pouvions nous aventurer sans crainte.

— Oh ! il nous portera bien tous, dit Jacques joyeusement. Vois donc comme il s’enfonce peu dans l’eau !… Le difficile sera de le diriger.

Il regarda autour de lui et saisit au passage deux perches que le courant emportait.