Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/311

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toire. Nous ne voulions pas être vaincus. Et il nous prenait des envies folles d’assommer le monstre, de le calmer à coups de poing.

Lentement, nous allions au large. Nous étions déjà à l’entrée de l’allée de chênes. Les branches noires perçaient l’eau qu’elles déchiraient avec des bruits lamentables. La mort nous attendait peut-être là, dans un heurt. Je criai à Jacques de prendre l’allée et de la suivre, en s’appuyant aux branches. Et c’est ainsi que je passai une dernière fois au milieu de cette allée de chênes où j’avais promené ma jeunesse et mon âge mûr. Dans la nuit terrible, sur le gouffre hurlant, je songeai à mon oncle Lazare, je vis les belles heures de ma vie me sourire tristement.

Au bout de l’allée, la Durance triompha. Nos perches ne touchèrent plus le fond. L’eau nous emporta dans l’élan furieux de sa victoire. Et maintenant elle pouvait faire de nous ce qu’il lui plairait. Nous nous abandonnâmes. Nous descendions avec une rapidité effrayante. De grands nuages, des haillons sales et troués traînaient dans le ciel ; puis, lorsque la lune se cachait, une obscurité lugubre tombait. Alors nous roulions dans le chaos. Des flots énormes d’un noir d’encre, pareils à des dos de poissons, nous emportaient en tournoyant.