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NOS AUTEURS DRAMATIQUES

inutiles, et c’est pourquoi je le tiens en haute estime. Si l’on comparait son théâtre à celui de M. Sardou, on verrait combien il lui est supérieur, par le naturel de l’invention, l'abondance inépuisable des détails comiques coulant de source, la veine large, hautement française, ne s’arrêtant pas aux petits moyens, tirant le rire des situations elles-mêmes.

Que manque-t-il donc au Voyage de M. Perrichon pour être un pur chef-d’œuvre ? Je serai franc, je dirai qu’il y manque une certaine tenue littéraire et plus de simplicité encore dans l’emploi des éléments comiques. J’ai constaté le vide du premier acte, qui est la caricature assez médiocre du départ en chemin de fer d’un bourgeois peu habitué aux voyages. Je serai encore plus sévère pour la façon dont le dénouement est amené. Cette conversation surprise est un moyen indigne d’une œuvre supérieure. Il me semble qu’on aurait pu tirer le dénouement du caractère même de Perrichon. Il y a aussi là des épisodes, celui du commandant Mathieu surtout, qui ont dû être ajoutés pour donner du corps à la pièce, mais qui lui retirent de sa largeur et de son unité. J’aurais désiré un jet unique et puissant.

La Poudre aux yeux est aussi une comédie dont le sujet est tout d’observation. L’auteur a voulu peindre cette rage qui pousse certaines familles à éblouir le monde, en affichant un luxe qu’elles ne peuvent soutenir. Rien n’est drôle comme les Ratinois et les Malingear, qui font assaut de mensonges sur leur véritable situation, avant de conclure le mariage de leurs enfants. Ce sont les Malingear qui commencent, pour mieux placer leur fille Emmeline et pour forcer les Ratinois à donner à leur fils Frédéric une plus belle dot ; les Ratinois partent alors de leur côté, en croyant les Malingear très riches. Il faut lire la scène des deux pères réglant la question d’argent et montant, malgré eux, à des chiffres énormes. C’est là du bon comique, du comique de situation et d’analyse, comme il y en a dans Molière. Nous sommes loin des pièces à quiproquos de certains auteurs acclamés.

J’aime moins, je l’avoue, les Petits Oiseaux, qui n’ont pas eu de succès, d’ailleurs. Il s’agit d’un digne homme, d’une bonté continuellement attendrie, qui veut tourner à la dureté de cœur, sur les conseils pratiques d’un de ses frères, et qui heureusement ne peut y parvenir. Cela est joli, très fin, très bien observé ; mais, au demeurant, cela est pleurard.

Et j’arrive aux Vivacités du capitaine Tic. Ici, nous retombons dans la fantaisie, mais quelle aimable fantaisie ! Toute la comédie est dans cette aventure du retour du capitaine chez sa tante, de son amour pour sa cousine Lucile, de son caractère emporté qui, à chaque instant, manque de faire rompre son mariage. Et, avec cela, il fallait emplir trois actes. J’ajoute qu’un homme toujours en colère n’était point aimable à peindre. Puis, quelle violence lui faire commettre ? M. Labiche a imaginé un adorable garçon, auquel ses vivacités donnent un charme de plus ; et, de toutes les violences, il a su choisir la seule qui fût comique, le coup de pied quelque part. Il y a, là dedans, un coup de pied épique, celui que reçoit le tuteur grincheux, M. Désambois. Il est déjà dans la coulisse, il a disparu, lorsque le capitaine allonge violemment la jambe. Et le plus drôle, c’est que M. Désambois, quelques instants plus tard, rentre majestueusement, sans vouloir jamais ouvrir la bouche sur l’accident. Quelle heureuse gaieté ! comme les choses les plus fâcheuses tournent à la belle humeur, avec M. Labiche !

C’est là aussi que se trouve la fameuse scène de la sonnette, qui est typique, selon moi. On connaît la situation. Le capitaine a juré à Lucile de ne plus s’emporter ; mais celle-ci, pleine de doute, lui fait promettre de se calmer, lorsqu’elle agitera la sonnette qui est sur le guéridon. M. Désambois arrive et dit au capitaine les choses les plus dures ; le capitaine, impatienté, va lui sauter à la gorge, lorsque la sonnette se fait entendre ; il se calme en riant, il laisse le tuteur continuer. Rien de plus joli comme jeu de scène. Mais ce n’est pas tout : Lucile, à un moment, est tellement indignée des mauvaises paroles de M. Désambois, qu’elle entre elle-même dans une grande colère ; et c’est le capitaine qui prend la sonnette et qui sonne à son tour. Tout finit dans un éclat de rire.

Je ne connais pas de scène mieux menée ni d’un dessin plus amusant. Tout un certain théâtre est là, dans ce modèle de va-et-vient si bien équilibré. L’effet de la scène est toujours énorme, parce qu’elle satisfait les besoins de symétrie du public et qu’elle charme les yeux et les oreilles plus encore que l’intelligence. C’est du théâtre mécanique, dont l’observation est absente. Dans la vie, certes, ce ne sont pas des coups de sonnette qui corrigent un homme de ses défauts. Le capitaine, au lendemain de ses noces, jurera et allongera des coups de pied de plus belle. Peut-être même la femme sera-t-elle battue. Mais, qu’importe ! elle a un si joli tintement, la sonnette, qu’elle contente absolument le public.

Le volume contient encore la Grammaire, cet acte si fin et si comique. Je me résumerai en disant que, si le premier volume montre M. Labiche comme un des fantaisistes les plus sains et les plus vigoureux que nous ayons eus, on trouve dans le second un auteur dramatique d’un vol plus large, se haussant parfois jusqu’à la grande comédie.