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Page:Zola - Théâtre, 1906.djvu/226

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NOS AUTEURS DRAMATIQUES

bien fait est une plaisanterie, puisqu’il ne peut seulement vivre un quart de siècle. Cessez donc de le patronner et de le pleurer. Ne le donnez pas en exemple aux jeunes gens, à moins que vous ne vouliez vous moquer d’eux. Ne parlez plus surtout de la scène à faire, attendu que dans les Faux Bonshommes, qui est un chef-d’œuvre, comme nous en sommes convenus, il n’y avait pas de scène à faire ; les scènes de Dufouré sont aussi importantes que celles de Péponnet, ce n’est en somme qu’une enfilade de scènes ou plutôt de tableaux réussis. Pas l’ombre de mécanique théâtrale dans tout cela. J’en conclus, et vous devez en conclure avec moi, que la mécanique théâtrale est inutile aux chefs-d’œuvre.

Cela m’amène au deuxième point. S’il n’y a pas de pièce dans les Faux Bonshommes, qu’y a-t-il donc ? Je viens de le dire, une suite de scènes d’une satire amusante, une collection de portraits dont le trait caricatural a de la netteté et de la puissance. L’intérêt n’est pas dans l’intrigue, mais dans les personnages ; ce n’est plus une histoire qui se noue et se dénoue pour le plaisir des spectateurs ; c’est une galerie d’originaux qui défilent et qui suffisent par eux-mêmes à l’amusement du public.

Eh ! bon Dieu ! c’est précisément là le théâtre que je demande depuis trois ans. Qu’on relise mes études. Je n’ai cessé de réclamer à la scène des peintures de caractères, en gardant toutes mes sévérités pour les pièces d’intrigue, les pièces bien faites, selon les conventions et les règles. Les critiques qui déclarent aujourd’hui que les Faux Bonshommes sont un chef-d’œuvre, après avoir combattu mes théories, ne sont pas logiques avec eux-mêmes. C’est moi qui dois triompher du succès de la reprise faite au Vaudeville. Voilà l’œuvre dramatique telle que je la veux, toute de peinture humaine, dédaigneuse des habiletés et des ficelles, sachant qu’il y a dans l’étude de l’homme assez d’intérêt pour rendre immortelle la page qui apportera le moindre document vrai. Barrière, en dehors de tout le fatras scénique, a soufflé un peu de vie dans les Faux Bonshommes, et c’est pour cela qu’ils vivent.

D’ailleurs, la pâmoison de la critique d’aujourd’hui en face des Faux Bonshommes est fort plaisante, lorsqu’on sait que cette pièce fut malmenée par la critique d’autrefois. Et cela devait être. Elle est d’allures trop libres, d’accent trop amer, pour avoir satisfait les juges d’une époque où le théâtre de Scribe régnait encore en maître. Le public, lui aussi, se montra froid, lors des premières représentations. Ce ne fut qu’à la longue, par la puissance même de l’œuvre, qu’un immense succès se dessina. On reprochait justement aux Faux Bonshommes ce qui, à cette heure, fait leur force : le dédain de la facture, le manque d’intrigue compliquée et ingénieuse, l’âpreté des peintures, l’observation poussée jusqu’au trait féroce. Quel exemple ! et quel cas devons-nous faire des jugements furieux qui accueillent aujourd’hui, comme autrefois, toute œuvre qui n’est pas coulée dans le moule commun !

Maintenant, soyons raisonnables et ne crions pas trop fort au chef-d’œuvre. Je mets de côté cette hypothèse que les Faux Bonshommes sont un chef-d’œuvre. La critique a ce tort de ne garder aucune mesure ; elle assomme les gens sur le pavé ou elle les encense dans la nue. Un peu de logique et de sang-froid serait pourtant une bonne chose. Certes, les Faux bonshommes sont une pièce où il y a des scènes vraiment remarquables ; mais de là à crier au prodige de l’esprit humain, il y a loin, en vérité. Depuis une semaine, c’est un aplatissement général qui devient plaisant. Je vais tâcher de dire simplement et honnêtement mon opinion sur les Faux Bonshommes.

On a parlé de Molière, et l’on a eu raison. Seulement, il y a plusieurs Molière, il faut distinguer. Les charges énormes de Vertillac et d’Octave jouant l’homme de Bourse rappellent les charges de Diafoirus et de son fils. C’est le même comique, fou d’attitudes, de voix, de déclamation ; la création de l’acteur a ici complété, sinon dépassé la création de l’auteur. Péponnet, le personnage principal, est également une caricature poussée au delà de toute vraisemblance. J’en veux arriver à cette conclusion que c’est ici du Molière caricatural, du Molière du Malade imaginaire, de Monsieur de Pourceaugnac et du Bourgeois gentilhomme, et non du Molière de Tartufe et du Misanthrope.

Une farce, telle est la vraie qualification des Faux Bonshommes. Si l’on veut, c’est une farce de Molière mise dans notre monde moderne. Remarquez que j’ai la plus grande tendresse pour la farce et que je n’emploie pas ce mot en mauvaise part. Je désire simplement classer avec netteté la pièce de Théodore Barrière. Ce qui lui manque, selon moi, pour être supérieure, c’est la maîtrise, c’est la marque magistrale du génie. Voyez, même dans les farces de Molière, il y a un souffle qui enlève les plaisanteries les plus communes. On sent l’haleine puissante, la solide carcasse littéraire qui tient debout les fantoches. Dans les Faux Bonshommes, il y a un émiettement continuel des personnages, ils sont comme détaillés par petits morceaux. Puis, toute littérature manque, la pièce n’a pas de style. C’est surtout là une chose qu’il faut sentir, que j’ai sentie profondément l’autre soir. On dirait l’œuvre d’un homme ordinaire, que son sujet a porté, qui a trouvé la haute comédie dans quelques scènes, sans être sûr pour plus tard de la retrouver jamais. L’œuvre est supérieure à l’homme, ce qui arrive parfois. On ne sent pas, dans la pièce, un maître du théâtre ni de la langue, mais un tempérament inégal, plus capable du médiocre que de l’excellent. En un mot, des rencontres superbes, mais pas de maîtrise, je le répète.

Le répertoire de Théodore Barrière est là pour appuyer ce jugement. Il n’a pas retrouvé la haute comédie, il s’est noyé dans les pièces de tout le monde. Certes, un chef-d’œuvre peut pousser isolé, dans le crâne d’un homme ; mais c’est pour le moins un fait qui prouve l’inconscience et l’inégalité du talent. Celui-là n’est point un maître qui n’est pas certain de sa force. Il y a eu, pour moi, un avortement chez Théodore Barrière. Il n’a pas été l’homme qu'il aurait pu être, s’il avait apporté un tempérament plus complet. Les Faux Bonshommes sont l’indice d’un grand talent avorté.

L’affabulation de la pièce est étroite. Cette