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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/115

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Pendant la route, ils échangèrent à peine quelques mots. Ils s’étaient enfoncés chacun dans un coin du fiacre qui les cahotait sur les pavés. Ils restaient immobiles et muets au fond de l’ombre qui emplissait la voiture. Et, par instants, le rapide rayon d’un bec de gaz jetait une lueur vive sur leurs visages. Le sinistre événement, qui les réunissait, mettait autour d’eux une sorte d’accablement lugubre.

Lorsqu’ils arrivèrent enfin au restaurant du bord de l’eau, ils trouvèrent Thérèse couchée, les mains et la tête brûlantes. Le traiteur leur dit à demi-voix que la jeune dame avait une forte fièvre. La vérité était que Thérèse, se sentant faible et lâche, craignant d’avouer le meurtre dans une crise, avait pris le parti d’être malade. Elle gardait un silence farouche, elle tenait les lèvres et les paupières serrées, ne voulant voir personne, redoutant de parler. Le drap au menton, la face à moitié dans l’oreiller, elle se faisait toute petite, elle écoutait avec anxiété ce qu’on disait autour d’elle. Et, au milieu de la lueur rougeâtre que laissaient passer ses paupières closes, elle voyait toujours Camille et Laurent luttant sur le bord de la barque, elle apercevait son mari, blafard, horrible, grandi, qui se dressait tout droit au-dessus d’une eau limoneuse. Cette vision implacable activait la fièvre de son sang.

Le vieux Michaud essaya de lui parler, de la consoler. Elle fit un mouvement d’impatience, elle se retourna et se mit de nouveau à sangloter.

— Laissez-la, Monsieur, dit le restaurateur, elle