Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/117

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l’avance. L’instinct de la conservation seul le poussait, lui dictait ses paroles, lui conseillait ses gestes. À cette heure, devant la certitude de l’impunité, le sang se remettait à couler dans ses veines avec des lenteurs douces. La police avait passé à côté de son crime, et la police n’avait rien vu ; elle était dupée, elle venait de l’acquitter. Il était sauvé. Cette pensée lui fit éprouver tout le long du corps des moiteurs de jouissance, des chaleurs qui rendirent la souplesse à ses membres et à son intelligence. Il continua son rôle d’ami éploré avec une science et un aplomb incomparables. Au fond, il avait des satisfactions de brute ; il songeait à Thérèse qui était couchée dans la chambre en haut.

— Nous ne pouvons laisser ici cette malheureuse jeune femme, dit-il à Michaud. Elle est peut-être menacée d’une maladie grave, il faut la ramener absolument à Paris… Venez, nous la déciderons à nous suivre.

En haut, il parla, il supplia lui-même Thérèse de se lever, de se laisser conduire au passage du Pont-Neuf. Quand la jeune femme entendit le son de sa voix, elle tressaillit, elle ouvrit ses yeux tout grands et le regarda. Elle était hébétée, frissonnante. Péniblement, elle se dressa sans répondre. Les hommes sortirent, la laissant seule avec la femme du restaurateur. Quand elle fut habillée, elle descendit en chancelant et monta dans le fiacre, soutenue par Olivier.

Le voyage fut silencieux. Laurent, avec une audace et une imprudence parfaites, glissa sa main le long des