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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/121

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paraissait d’un brun sourd et puissant ; elle se trouvait à droite, au-dessous de l’oreille. Laurent, le dos courbé, le cou tendu, regardait, et le miroir verdâtre donnait à sa face une grimace atroce.

Il se lava à grande eau, satisfait de son examen, se disant que la blessure serait cicatrisée au bout de quelques jours. Puis il s’habilla et se rendit à son bureau, tranquillement, comme à l’ordinaire. Il y conta l’accident d’une voix émue. Lorsque ses collègues eurent lu le fait-divers qui courait la presse, il devint un véritable héros. Pendant une semaine, les employés du chemin de fer d’Orléans n’eurent pas d’autre sujet de conversation : ils étaient tout fiers qu’un des leurs se fût noyé. Grivet ne tarissait pas sur l’imprudence qu’il y a à s’aventurer en pleine Seine, quand il est si facile de regarder couler l’eau en traversant les ponts.

Il restait à Laurent une inquiétude sourde. Le décès de Camille n’avait pu être constaté officiellement. Le mari de Thérèse était bien mort, mais le meurtrier aurait voulu retrouver son cadavre pour qu’un acte formel fût dressé. Le lendemain de l’accident, on avait inutilement cherché le corps du noyé ; on pensait qu’il s’était sans doute enfoui au fond de quelque trou, sous les berges des îles. Des ravageurs fouillaient activement la Seine pour toucher la prime.

Laurent se donna la tâche de passer chaque matin par la Morgue, en se rendant à son bureau. Il s’était juré de faire lui-même ses affaires. Malgré les répugnances qui lui soulevaient le cœur, malgré les fris-