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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/138

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et fait craquer leurs os. Ils évitaient même de se rencontrer seul à seule ; dans l’intimité, ils ne trouvaient rien à se dire, ils craignaient tous deux de montrer trop de froideur. Lorsqu’ils échangeaient une poignée de main, ils éprouvaient une sorte de malaise en sentant leur peau se toucher.

D’ailleurs, ils croyaient s’expliquer chacun ce qui les tenait ainsi indifférents et effrayés en face l’un de l’autre. Ils mettaient leur attitude froide sur le compte de la prudence. Leur calme, leur abstinence, selon eux, étaient œuvres de haute sagesse. Ils prétendaient vouloir cette tranquillité de leur chair, ce sommeil de leur cœur. D’autre part, ils regardaient la répugnance, le malaise qu’ils ressentaient comme un reste d’effroi, comme une peur sourde du châtiment. Parfois, ils se forçaient à l’espérance, ils cherchaient à reprendre les rêves brûlants d’autrefois, et ils demeuraient tout étonnés, en voyant que leur imagination était vide. Alors ils se cramponnaient à l’idée de leur prochain mariage ; arrivés à leur but, n’ayant plus aucune crainte, livrés l’un à l’autre, ils retrouveraient leur passion, ils goûteraient les délices rêvés. Cet espoir les calmait, les empêchait de descendre au fond du néant qui s’était creusé en eux. Ils se persuadaient qu’ils s’aimaient comme par le passé, ils attendaient l’heure qui devait les rendre parfaitement heureux en les liant pour toujours.

Jamais Thérèse n’avait eu l’esprit si calme. Elle devenait certainement meilleure. Toutes les volontés implacables de son être se détendaient.