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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/149

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bientôt dans une sorte de rêverie aiguë, qui étalait au fond de son cerveau les nécessités de son mariage, les arguments que ses désirs et sa prudence donnaient tour à tour pour et contre la possession de Thérèse.

Alors, voyant qu’il ne pouvait dormir, que l’insomnie tenait sa chair irritée, il se mit sur le dos, il ouvrit les yeux tout grands, il laissa son cerveau s’emplir du souvenir de la jeune femme. L’équilibre était rompu, la fièvre chaude de jadis le secouait de nouveau. Il eut l’idée de se lever, de retourner au passage du Pont-Neuf. Il se ferait ouvrir la grille, il irait frapper à la petite porte de l’escalier, et Thérèse le recevrait. À cette pensée, le sang montait à son cou.

Sa rêverie avait une lucidité étonnante. Il se voyait dans les rues, marchant vite, le long des maisons, et il se disait : « Je prends ce boulevard, je traverse ce carrefour, pour être plus tôt arrivé. » Puis la grille du passage grinçait, il suivait l’étroite galerie, sombre et déserte, en se félicitant de pouvoir monter chez Thérèse sans être vu de la marchande de bijoux faux ; puis il s’imaginait être dans l’allée, dans le petit escalier par où il avait passé si souvent. Là, il éprouvait les joies cuisantes de jadis, il se rappelait les terreurs délicieuses, les voluptés poignantes de l’adultère. Ses souvenirs devenaient des réalités qui impressionnaient tous ses sens : il sentait l’odeur fade du couloir, il touchait les murs gluants, il voyait l’ombre sale qui traînait. Et il montait chaque marche, haletant, prê-