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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/195

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sur la morsure de Camille, elle demanda à son mari :

— Qu’as-tu là ? Je ne te connaissais pas cette blessure.

Il sembla à Laurent que le doigt de Thérèse lui trouait la gorge. Au contact de ce doigt, il eut un brusque mouvement de recul, en poussant un léger cri de douleur.

— Ça, dit-il en balbutiant, ça…

Il hésita, mais il ne put mentir, il dit la vérité malgré lui.

— C’est Camille qui m’a mordu, tu sais, dans la barque. Ce n’est rien, c’est guéri… Embrasse-moi, embrasse-moi.

Et le misérable tendait son cou qui le brûlait. Il désirait que Thérèse le baisât sur la cicatrice, il comptait que le baiser de cette femme apaiserait les mille piqûres qui lui déchiraient la chair. Le menton levé, le cou en avant, il s’offrait. Thérèse, presque couchée sur le marbre de la cheminée, fit un geste de suprême dégoût et s’écria d’une voix suppliante :

— Oh ! non, pas là… Il y a du sang.

Elle retomba sur la chaise basse, frémissante, le front entre les mains. Laurent resta stupide. Il abaissa le menton, il regarda vaguement Thérèse. Puis, tout d’un coup, avec une étreinte de bête fauve, il lui prit la tête dans ses larges mains, et, de force, lui appliqua les lèvres sur son cou, sur la morsure de Camille. Il garda, il écrasa un instant cette tête de femme contre sa peau. Thérèse s’était abandonnée,