Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/214

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sement. Dans le premier moment de stupeur, dans l’étrange accablement de la nuit de noces, il avait pu oublier les raisons qui venaient de le pousser au mariage. Mais sous les coups répétés de ses mauvais rêves, une irritation sourde l’envahit, qui triompha de ses lâchetés et lui rendit la mémoire. Il se souvint qu’il s’était marié pour chasser ses cauchemars, en serrant sa femme étroitement. Alors il prit brusquement Thérèse entre ses bras, une nuit, au risque de passer sur le corps du noyé, et la tira à lui avec violence.

La jeune femme était poussée à bout, elle aussi ; elle se serait jetée dans la flamme, si elle eût pensé que la flamme purifiât sa chair et la délivrât de ses maux. Elle rendit à Laurent son étreinte, décidée à être brûlée par les caresses de cet homme ou à trouver en elles un soulagement.

Et ils se serrèrent dans un embrassement horrible. La douleur et l’épouvante leur tinrent lieu de désirs. Quand leurs membres se touchèrent, ils crurent qu’ils étaient tombés sur un brasier. Ils poussèrent un cri et se pressèrent davantage, afin de ne pas laisser entre leur chair de place pour le noyé. Et ils sentaient toujours des lambeaux de Camille, qui s’écrasait ignoblement entre eux, glaçant leur peau par endroits, tandis que le reste de leur corps brûlait.

Leurs baisers furent affreusement cruels. Thérèse chercha des lèvres la morsure de Camille sur le cou gonflé et roidi de Laurent, et elle y colla sa bouche avec emportement. Là était la plaie vive ; cette bles-