Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/223

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malades que leurs douleurs quittent tout d’un coup. Elle se sentait la chair assouplie, l’esprit libre, elle s’enfonçait dans une sorte de néant tiède et réparateur. Sans ces quelques moments de calme, son organisme aurait éclaté sous la tension de son système nerveux ; elle y puisait les forces nécessaires pour souffrir encore et s’épouvanter la nuit suivante. D’ailleurs, elle ne s’endormait point, elle baissait à peine les paupières, perdue au fond d’un rêve de paix ; lorsqu’une cliente entrait, elle ouvrait les yeux, elle servait les quelques sous de marchandise demandés, puis retombait dans sa rêverie flottante. Elle passait ainsi trois ou quatre heures, parfaitement heureuse, répondant par monosyllabes à sa tante, se laissant aller avec une véritable jouissance aux évanouissements qui lui ôtaient la pensée et qui l’affaissaient sur elle-même. Elle jetait à peine, de loin en loin, un coup d’œil dans le passage, se trouvant surtout à l’aise par les temps gris, lorsqu’il faisait noir et qu’elle cachait sa lassitude au fond de l’ombre. Le passage humide, ignoble, traversé par un peuple de pauvres diables mouillés, dont les parapluies s’égouttaient sur les dalles, lui semblait l’allée d’un mauvais lieu, une sorte de corridor sale et sinistre où personne ne viendrait la chercher et la troubler. Par moments, en voyant les lueurs terreuses qui traînaient autour d’elle, en sentant l’odeur âcre de l’humidité, elle s’imaginait qu’elle venait d’être enterrée vive ; elle croyait se trouver dans la terre, au fond d’une fosse commune où grouillaient des morts. Et cette