Aller au contenu

Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

goisse, seul à seule, et ils souriaient paisiblement lorsqu’il y avait du monde. Jamais leur visage, en public, ne laissait deviner les souffrances qui venaient de les déchirer dans l’intimité ; ils paraissaient calmes et heureux, ils cachaient instinctivement leurs maux.

Personne n’aurait soupçonné, à les voir si tranquilles pendant le jour, que des hallucinations les torturaient chaque nuit. On les eût pris pour un ménage béni du ciel, vivant en pleine félicité. Grivet les appelait galamment « les tourtereaux. » Lorsque leurs yeux étaient cernés par des veilles prolongées, il les plaisantait, il demandait à quand le baptême. Et toute la société riait. Laurent et Thérèse pâlissaient à peine, parvenaient à sourire ; ils s’habituaient aux plaisanteries risquées du vieil employé. Tant qu’ils se trouvaient dans la salle à manger, ils étaient maîtres de leurs terreurs. L’esprit ne pouvait deviner l’effroyable changement qui se produisait en eux, lorsqu’ils s’enfermaient dans la chambre à coucher. Le jeudi soir surtout, ce changement était d’une brutalité si violente qu’il semblait s’accomplir dans un monde surnaturel. Le drame de leurs nuits, par son étrangeté, par ses emportements sauvages, dépassait toute croyance et restait profondément caché au fond de leur être endolori. Ils auraient parlé qu’on les eût crus fous.

— Sont-ils heureux, ces amoureux-là ! disait souvent le vieux Michaud. Ils ne causent guère, mais ils n’en pensent pas moins. Je parie qu’ils se dévorent de caresses, quand nous ne sommes plus là.