Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/238

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tableau avec ces ébauches-là, il faudra changer quelques-unes des physionomies ; tes personnages ne peuvent pas être tous frères, cela ferait rire.

Il sortit de l’atelier, et ajouta sur le carré, en riant :

— Vrai, mon vieux, ça me fait plaisir de t’avoir vu. Maintenant je vais croire aux miracles… Bon Dieu ! es-tu comme il faut !

Il descendit. Laurent rentra dans l’atelier, vivement troublé. Lorsque son ami lui avait fait l’observation que toutes ses têtes d’étude avaient un air de famille, il s’était brusquement tourné pour cacher sa pâleur. C’est que déjà cette ressemblance fatale l’avait frappé. Il revint lentement se placer devant les toiles ; à mesure qu’il les contemplait, qu’il passait de l’une à l’autre, une sueur glacée lui mouillait le dos.

— Il a raison, murmura-t-il, ils se ressemblent tous… Ils ressemblent à Camille.

Il se recula, il s’assit sur le divan, sans pouvoir détacher les yeux des têtes d’étude. La première était une face de vieillard, avec une longue barbe blanche ; sous cette barbe blanche, l’artiste devinait le menton maigre de Camille. La seconde représentait une jeune fille blonde, et cette jeune fille le regardait avec les yeux bleus de sa victime. Les trois autres figures avaient chacune quelque trait du noyé. On eût dit Camille grimé en vieillard, en jeune fille, prenant le déguisement qu’il plaisait au peintre de lui donner, mais gardant toujours le caractère général de sa phy-