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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/249

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bien sage dans son fauteuil, comme une petite fille.

Ses yeux prenaient chaque jour une douceur, une clarté plus pénétrantes. Elle en était arrivée à se servir de ses yeux comme d’une main, comme d’une bouche, pour demander et remercier. Elle suppléait ainsi, d’une façon étrange et charmante, aux organes qui lui faisaient défaut. Ses regards étaient beaux d’une beauté céleste, au milieu de sa face dont les chairs pendaient molles et grimaçantes. Depuis que ses lèvres tordues et inertes ne pouvaient plus sourire, elle souriait du regard, avec des tendresses adorables ; des lueurs humides passaient, et des rayons d’aurore sortaient des orbites. Rien n’était plus singulier que ces yeux qui riaient comme des lèvres dans ce visage mort ; le bas du visage restait morne et blafard, le haut s’éclairait divinement. C’était surtout pour ses chers enfants qu’elle mettait ainsi toutes ses reconnaissances, toutes les affections de son âme dans un simple coup d’œil. Lorsque, le soir et le matin, Laurent la prenait entre ses bras pour la transporter, elle le remerciait avec amour par des regards pleins d’une tendre effusion.

Elle vécut ainsi pendant plusieurs semaines, attendant la mort, se croyant à l’abri de tout nouveau malheur. Elle pensait avoir payé sa part de souffrance. Elle se trompait. Un soir, un effroyable coup l’écrasa.

Thérèse et Laurent avaient beau la mettre entre eux, en pleine lumière, elle ne vivait plus assez pour