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au retour du bureau, il courait au bord de la Seine avec sa cousine Thérèse.

Thérèse allait avoir dix-huit ans. Un jour, seize années auparavant, lorsque Madame Raquin était encore mercière, son frère, le capitaine Degans, lui apporta une petite fille dans ses bras. Il arrivait d’Algérie.

— Voici une enfant dont tu es la tante, lui dit-il avec un sourire. Sa mère est morte… Moi je ne sais qu’en faire. Je te la donne.

La mercière prit l’enfant, lui sourit, baisa ses joues roses. Degans resta huit jours à Vernon. Sa sœur l’interrogea à peine sur cette fille qu’il lui donnait. Elle sut vaguement que la chère petite était née à Oran et qu’elle avait pour mère une femme indigène d’une grande beauté. Le capitaine, une heure avant son départ, lui remit un acte de naissance dans lequel Thérèse, reconnue par lui, portait son nom. Il partit, et on ne le revit plus ; quelques années plus tard, il se fit tuer en Afrique.

Thérèse grandit, couchée dans le même lit que Camille, sous les tièdes tendresses de sa tante. Elle était d’une santé de fer, et elle fut soignée comme une enfant chétive, partageant les médicaments que prenait son cousin, tenue dans l’air chaud de la chambre occupée par le petit malade. Pendant des heures, elle restait accroupie devant le feu, pensive, regardant les flammes en face, sans baisser les paupières. Cette vie forcée de convalescente la replia sur elle-même ; elle prit l’habitude de parler à voix basse, de marcher