Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/59

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Il s’arrêtait, il lui venait des fatuités, il regardait couler la Seine d’un air absorbé.

— Ma foi, tant pis, s’écriait-il, je l’embrasse à la première occasion… Je parie qu’elle tombe tout de suite dans mes bras.

Il se remettait à marcher, et des indécisions le prenaient.

— C’est qu’elle est laide, après tout, pensait-il. Elle a le nez long, la bouche grande. Je ne l’aime pas du tout, d’ailleurs. Je vais peut-être m’attirer quelque mauvaise histoire. Cela demande réflexion.

Laurent, qui était très-prudent, roula ces pensées dans sa tête pendant une grande semaine. Il calcula tous les incidents possibles d’une liaison avec Thérèse ; il se décida seulement à tenter l’aventure, lorsqu’il se fut bien prouvé qu’il avait un réel intérêt à le faire.

Pour lui, Thérèse, il est vrai, était laide, et il ne l’aimait pas ; mais, en somme, elle ne lui coûterait rien ; les femmes qu’il achetait à bas prix n’étaient, certes, ni plus belles ni plus aimées. L’économie lui conseillait déjà de prendre la femme de son ami. D’autre part, depuis longtemps il n’avait pas contenté ses appétits ; l’argent étant rare, il sevrait sa chair, et il ne voulait point laisser échapper l’occasion de la repaître un peu. Enfin, une pareille liaison, en bien réfléchissant, ne pouvait avoir de mauvaises suites : Thérèse aurait intérêt à tout cacher, il la planterait là aisément quand il voudrait ; en admettant même que