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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/75

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tranquillités béates, ses audaces prudentes, ses attitudes désintéressées et goguenardes.

Thérèse, plus nerveuse, plus frémissante que lui, était obligée de jouer un rôle. Elle le jouait à la perfection, grâce à l’hypocrisie savante que lui avait donnée son éducation. Pendant près de quinze ans, elle avait menti, étouffant ses fièvres, mettant une volonté implacable à paraître morne et endormie. Il lui coûtait peu de poser sur sa chair ce masque de morte qui glaçait son visage. Quand Laurent entrait, il la trouvait grave, rechignée, le nez plus long, les lèvres plus minces. Elle était laide, revêche, inabordable. D’ailleurs, elle n’exagérait pas ses effets, elle jouait son ancien personnage, sans éveiller l’attention par une brusquerie plus grande. Pour elle, elle trouvait une volupté amère à tromper Camille et madame Raquin ; elle n’était pas comme Laurent, affaissée dans le contentement épais de ses désirs, inconsciente du devoir ; elle savait qu’elle faisait le mal, et il lui prenait des envies féroces de se lever de table et d’embrasser Laurent à pleine bouche, pour montrer à son mari et à sa tante qu’elle n’était pas une bête et qu’elle avait un amant.

Par moments, des joies chaudes lui montaient à la tête ; toute bonne comédienne qu’elle fût, elle ne pouvait alors se retenir de chanter, quand son amant n’était pas là et qu’elle ne craignait point de se trahir. Ces gaietés soudaines charmaient madame Raquin qui accusait sa nièce de trop de gravité. La jeune femme acheta des pots de fleurs et en garnit la fenêtre de sa