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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/77

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riants. Et, au fond d’elle, il y avait des rires sauvages ; tout son être raillait, tandis que son visage gardait une rigidité froide. Elle se disait, avec des raffinements de volupté, que quelques heures auparavant elle était dans la chambre voisine, demi-nue, échevelée, sur la poitrine de Laurent ; elle se rappelait chaque détail de cette après-midi de passion folle, elle les étalait dans sa mémoire, elle opposait cette scène brûlante à la scène morte qu’elle avait sous les yeux. Ah ! comme elle trompait ces bonnes gens, et comme elle était heureuse de les tromper avec une impudence si triomphante ! Et c’était là, à deux pas, derrière cette mince cloison, qu’elle recevait un homme ; c’était là qu’elle se vautrait dans les âpretés de l’adultère. Et son amant, à cette heure, devenait un inconnu pour elle, un camarade de son mari, une sorte d’imbécile et d’intrus dont elle ne devait pas se soucier. Cette comédie atroce, ces duperies de la vie, cette comparaison entre les baisers ardents du jour et l’indifférence jouée du soir, donnaient des ardeurs nouvelles au sang de la jeune femme.

Lorsque madame Raquin et Camille descendaient, par hasard, Thérèse se levait d’un bond, collait silencieusement, avec une énergie brutale, ses lèvres sur les lèvres de son amant, et restait ainsi, haletant, étouffant, jusqu’à ce qu’elle entendît crier le bois des marches de l’escalier. Alors, d’un mouvement leste, elle reprenait sa place, elle retrouvait sa grimace rechignée. Laurent, d’une voix calme, continuait avec Camille la causerie