Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/87

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sans femme dans un grenier. Cette idée l’exaspérait. Au contraire, Camille mort, il épousait Thérèse, il héritait de madame Raquin, il donnait sa démission et flânait au soleil. Alors, il se plut à rêver cette vie de paresseux ; il se voyait déjà oisif, mangeant et dormant, attendant avec patience la mort de son père. Et quand la réalité se dressait au milieu de son rêve, il se heurtait contre Camille, il serrait les poings comme pour l’assommer.

Laurent voulait Thérèse ; il la voulait à lui tout seul, toujours à portée de sa main. S’il ne faisait pas disparaître le mari, la femme lui échappait. Elle l’avait dit : elle ne pouvait revenir. Il l’aurait bien enlevée, emportée quelque part, mais alors ils seraient morts de faim tous deux. Il risquait moins en tuant le mari ; il ne soulevait aucun scandale, il poussait seulement un homme pour se mettre à sa place. Dans sa logique brutale de paysan, il trouvait ce moyen excellent et naturel. Sa prudence native lui conseillait même cet expédient rapide.

Il se vautrait sur son lit, en sueur, à plat ventre, collant sa face moite dans l’oreiller où avait traîné le chignon de Thérèse. Il prenait la toile entre ses lèvres séchées, il buvait les parfums légers de ce linge, et il restait là, sans haleine, étouffant, voyant passer des barres de feu le long de ses paupières closes. Il se demandait comment il pourrait bien tuer Camille. Puis, quand la respiration lui manquait, il se retournait d’un bond, se remettait sur le dos, et, les yeux