Page:Zola - Travail.djvu/110

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« Oh ! un homme superbe, blond et rose. Je suis sûre que Nise sera tout son portrait. »

Mais Boisgelin dut trouver qu’il n’était pas correct d’attendre ainsi ses invités sous un chêne, ce que pouvaient seuls se permettre de bons bourgeois, retirés à la campagne. Et, comme il les faisait tous rentrer, les emmenant au salon, une rencontre se produisit M. Jérôme parut dans sa petite voiture, que poussait un domestique. Le vieillard avait exigé de garder sa vie complètement à part, ses heures de repas, de promenade, de lever et de coucher ; et il mangeait seul, il ne voulait pas qu’on s’occupât de lui, la règle s’était même établie, dans la maison, de ne jamais lui adresser la parole. Tous se contentèrent donc de le saluer en silence, tandis que Suzanne fut la seule à le suivre tendrement des yeux, avec un sourire. M. Jérôme, qui partait pour une de ses longues promenades passant parfois dehors l’après-midi entier, les avait tous regardés fixement, en témoin oublié, hors du monde, qui ne rendait plus les saluts. Et Luc fut repris de son malaise, de son doute angoissant sous la clarté froide de ce regard.

Le salon était une vaste pièce, fort riche, tendue de brocatelle rouge, garnie d’un meuble Louis XIV, somptueux. Et l’on y entrait à peine, que des invités arrivèrent, le sous-préfet Châtelard, suivi du maire Gourier, de sa femme Léonore et de leur fils Achille. À quarante ans, bel homme encore, chauve le nez busqué, là bouche discrète, les yeux larges et vifs derrière le binocle, Châtelard était une épave de Paris, qui, après y avoir laissé ses cheveux et son estomac, s’était fait donner ses Invalides à la sous-préfecture de Beauclair, par un ami intime, bombardé ministre. Sans ambition, le foie atteint et sentant la nécessité du repos, il avait eu l’heureux destin d’y rencontrer la belle Mme Gourier, qui semblait l’y voir fixé pour toujours, dans une liaison sans nuage, vue