Page:Zola - Travail.djvu/145

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en elle, dans le souci de bonne ménagère qu’elle apportait à la conduite de leurs affaires. Il y avait plus de dix ans que la mine, découverte sur le plateau des monts Bleuses par Aurélien Jordan, le grand-père, était abandonnée, car on avait fini par tomber sur des filons exécrables, où le soufre et le phosphore dominaient à un tel point, que le minerai ne rendait plus à la fonte de quoi payer les frais d’extraction. L’exploitation des galeries avait donc cessé, le haut fourneau de la Crêcherie était maintenant alimenté par les mines de Granval, près de Brias, dont un petit chemin de fer amenait le minerai, assez bon, jusqu’à la plate-forme de chargement, ainsi d’ailleurs que le charbon des houillères voisines. Mais c’étaient là de gros frais, Sœurette songeait souvent à ces méthodes chimiques qui permettraient peut-être de reprendre l’exploitation de la mine, d’après ce que Luc avait dit ; et, dans son désir de le consulter, avant que son frère prît une décision, entrait le besoin de savoir au moins ce qu’on céderait à Delaveau, si un acte de vente intervenait entre la Crêcherie et l’Abîme.

Les Jordan devaient arriver par le train de six heures, après douze grandes heures de voyage, et Luc se rendit à la gare pour les y attendre, en profitant de la voiture qui allait les y chercher. Jordan, petit, chétif, avec sa face longue et douce, un peu vague, que des cheveux et une barbe d’un brun décoloré encadraient, descendit de wagon, enveloppé dans une grande fourrure, bien que la belle journée de septembre fût chaude. De ses yeux noirs, très vifs, très pénétrants, où toute la vie de son être semblait s’être réfugiée, il aperçut le premier le jeune homme.

« Ah ! mon bon ami, que vous êtes gentil de nous avoir attendus !… On n’a pas idée d’une pareille catastrophe, ce pauvre cousin, tout seul là-bas, qu’il nous a fallu aller enterrer, et moi qui ai l’exécration des voyages !… Enfin, c’est fini, nous voilà.