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s’aggravaient, devenaient d’une acuité extraordinaire. Et, dès lors, il ne put glisser au sommeil, sans entendre les appels grandir, le solliciter éperdument pour quelque besogne pressante, dont il sentait bien l’impérieux besoin, mais dont il n’aurait su dire la nature. Où courir pour être au plus tôt sur le terrain de la lutte ? Que faire, pour agir et préparer la victoire ? Il ne savait pas, il souffrait cruellement du vague cauchemar où il se débattait. C’était, dans la pleine obscurité, comme une aurore trop lente, comme des sollicitations incessantes à une besogne qui s’obscurcissait, chaque fois qu’il était sur le point de la définir. Et voilà que, dominant les appels, il n’y eut plus que l’appel d’une voix très douce, la voix de Josine, qui se lamentait et le suppliait. Elle seule était là, il sentit la tiède caresse du baiser qu’elle lui avait mis sur la main, il respira le petit bouquet d’œillets qu’elle lui avait jeté, et dont le parfum sauvage lui semblait emplir toute la chambre.

Dès ce moment, Luc ne lutta plus, secoua l’insomnie fiévreuse, pour retrouver quelque paix. Il ralluma sa bougie, se leva, se promena un instant par la chambre. Il ne voulait penser à rien, espérant dégager son cerveau de l’idée fixe. Et il tâcha de s’intéresser aux choses, regarda les quelques gravures anciennes pendues aux murs, les vieux meubles qui disaient les habitudes d’étude et de bonhomie du docteur Michon, toute cette chambre vénérable où l’on sentait beaucoup de bonté, beaucoup de raison et de sagesse. Puis, la bibliothèque finit par l’intéresser uniquement. C’était une armoire vitrée assez grande, où l’ancien fouriériste, l’ancien saint-simonien avait réuni une collection très complète de tous les ouvrages humanitaires qui avaient passionné sa jeunesse. Tous les philosophes sociaux, tous les précurseurs, tous les apôtres du nouvel évangile, se trouvaient là : Fourier, Saint-Simon, Auguste Comte, Proudhon, Cabet, Pierre Leroux,