Page:Zola - Travail.djvu/207

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un apôtre, sous le brusque rayon qui l’illuminait. Tout d’un coup il parla.

« Écoutez, Jordan, il ne faut pas vendre à Delaveau, il faut tout garder, et le haut fourneau, et la mine… C’est ma réponse, je vous la donne, car ma conviction est faite. »

Surpris de ces paroles, si brusques et si inattendues, dont le lien avec ce qu’il venait de dire lui échappait, le maître de la Crêcherie eut un léger battement de paupières.

« Comment ça ? mon cher Luc, pourquoi me dites-vous ça ?… Expliquez-vous. »

Le jeune homme, pourtant, garda un moment le silence, dans l’émotion qui le bouleversait. Cet hymne au travail, cette glorification du travail pacificateur et réorganisateur l’avait soulevé d’un choc soudain, comme si l’esprit l’emportait, déroulait enfin devant lui le vaste horizon, perdu jusque-là dans la brume. Tout se précisait, s’animait, devenait d’une absolue certitude. C’était la foi qui resplendissait, les paroles sortaient de sa bouche, avec une force de persuasion extraordinaire.

« Il ne faut pas vendre à Delaveau… Je suis allé visiter ce matin la mine abandonnée. Tel que le donnent les filons actuels, on peut encore tirer un bon profit du minerai, en le soumettant aux nouveaux procédés chimiques. Et Morfain m’a convaincu qu’on retombera sur des filons excellents, à l’autre flanc de la gorge. Il y a là des richesses incalculables. Le haut fourneau fournira de la fonte à très bas prix, et si on le complétait par toute une forge, des fours à puddler, des fours à creusets, des laminoirs et des marteaux-pilons, on pourrait reprendre en grand la fabrication des rails et des charpentes, de façon à lutter victorieusement de bon marché avec les aciéries les plus prospères du Nord et de l’Est. »

La surprise de Jordan grandissait, tournait à l’effarement. Cette protestation lui échappa : «