Page:Zola - Travail.djvu/217

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pour respirer un instant l’air frais et calme de la nuit. En face, au-delà des champs incultes, semés de roches, Beauclair s’endormait, éteignant une à une ses lumières ; pendant que, sur la gauche, l’Abîme retentissait des coups sourds de ses marteaux. Jamais l’haleine du géant douloureux ne lui avait semblé plus rude ni plus oppressée. Et, comme la veille encore, un bruit s’éleva de l’autre côté de la route, si léger qu’il crut au frôlement d’ailes d’un oiseau de nuit. Mais son cœur se mit à battre, lorsque le bruit recommença, car il reconnaissait maintenant ce doux frisson de l’approche. Et il revit la forme vague, délicate et fine, qui semblait flotter à la pointe des herbes. Et, d’un saut de chèvre sauvage, une femme traversa la route, lui lança un petit bouquet, si adroitement, qu’il le reçut de nouveau sur les lèvres, ainsi qu’une caresse. Comme la veille, c’était un petit bouquet d’œillets de montagne, cueilli à l’instant parmi les roches, et d’une odeur si puissante, qu’il en fut tout parfumé.

« Oh ! Josine, Josine ! » murmura-t-il, pénétré d’une tendresse infinie.

Elle était revenue, et elle se donnait encore, elle se donnerait toujours, du même geste de gratitude passionnée, avec ces fleurs naïves comme elle, et il en était rafraîchi, ragaillardi, dans la fatigue physique et morale d’une journée si pleine, décisive. N’était-ce pas déjà la récompense du premier effort, de l’action résolue ? Son petit bouquet de ce soir-là le fêtait d’avoir décidé qu’il agirait dès le lendemain. C’était en elle qu’il aimait le peuple souffrant, c’était elle qu’il voulait sauver du monstre. Il l’avait prise la plus misérable la plus outragée, si près de l’avilissement, qu’elle était sur le point de tomber au ruisseau. Avec sa pauvre main que le travail avait mutilée, elle incarnait toute la race des victimes, des esclaves donnant leur chair pour l’effort et pour le plaisir. Lorsqu’il l’aurait rachetée, il rachèterait avec