Page:Zola - Travail.djvu/224

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avec les trous de ténèbres et de souffrances, où agonisaient les équipes des vieilles usines du voisinage  !

Fauchard croyait trouver Bonnaire, le maître puddleur, à son four, et il fut surpris de le voir, dans la même halle, diriger un grand laminoir, qui fabriquait des rails.

«  Tiens  ! tu as lâché le puddlage  ?

— Non, mais nous faisons un peu de tout ici. C’est la règle de la maison  : deux heures de ceci, deux heures de cela, et, ma foi  ! c’est bien vrai que cela repose.  »

La vérité était que Luc ne décidait pas facilement les ouvriers qu’il embauchait à sortir de leur spécialité. Plus tard, la réforme s’accomplirait, les enfants passeraient par plusieurs apprentissages, car le travail attrayant ne pouvait être que dans la variété des diverses tâches et dans le peu d’heures consacrées à chacune d’elles.

«  Ah  ! soupira Fauchard, que ça m’amuserait donc de faire autre chose que d’arracher les creusets du fond de mon four  ! Mais je ne sais pas, je ne peux pas.  »

Le bruit saccadé du laminoir était si violent, qu’il devait parler très fort. Il se tut, il profita d’un moment de répit pour serrer la main de Ragu et de Bourron, qui se trouvaient là, très occupés à recevoir les rails. Ce fut ensuite pour lui un spectacle. On ne fabriquait pas de rails à l’Abîme, il regardait ceux-ci avec des pensées confuses, qu’il n’aurait pas su exprimer. Ce dont il souffrait surtout, dans son écrasement, dans sa déchéance d’homme déjeté sous la meule, devenu un simple outil, c’était d’avoir gardé la conscience obscure qu’il aurait pu être une intelligence, une volonté. Une petite lumière brûlait encore en lui, comme la petite lampe de veille qui jamais ne s’éteint. Et quelle lourde tristesse à regretter l’homme libre, et sain et joyeux, qu’il serait devenu sans ce cachot d’abêtissement où l’esclavage l’avait jeté  ! Les rails qui s’allongeaient, qui s’allongeaient toujours, étaient comme