Page:Zola - Travail.djvu/356

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pas arracher la proie dorée, elle tenait à son triomphe, de toute sa chair, de toutes les forces avides de son être. En elle, dans ce corps si fin, d’un charme délicat, sous cette grâce légère, il y avait une âpreté de louve, aux furieux instincts de carnage. Elle était résolue à ne rien céder sur ses appétits, à se rassasier de son plaisir jusqu’au bout, sans laisser les autres le lui prendre ou simplement le compromettre. Cette usine boueuse et noire, où, nuit et jour, elle entendait les monstrueux marteaux lui forger son plaisir elle en avait le mépris, comme d’une office basse, dans laquelle se cachaient les saletés de la vie  ; ces ouvriers qui se cuisaient la peau aux flammes de cet enfer, pour qu’elle eût une existence de fraîche et heureuse paresse, elle les considérait un peu comme les animaux domestiques qui la nourrissaient, qui lui évitaient toute fatigue. Jamais elle ne risquait ses petits pieds sur le sol raboteux des halles, et jamais elle ne s’intéressait au troupeau humain, défilant devant sa porte, sous l’écrasement du travail maudit. Mais ce troupeau était à elle, cette usine était à elle, l’idée qu’on pouvait tarir sa fortune en ruinant l’usine la révoltait, la mettait en guerre, ainsi qu’un attentat contre sa propre personne. Et c’était pour cela que quiconque nuisait à l’Abîme devenait son propre ennemi, un malfaiteur dangereux dont elle rêvait de se débarrasser par tous les moyens imaginables. Aussi sa haine contre Luc était-elle allée en grandissant, depuis leur première rencontre, à ce déjeuner de la Guerdache, où elle avait deviné en lui, avec son flair subtil de femme, l’homme qui lui barrerait la route. Toujours, en effet, elle s’était heurtée à lui, et voilà maintenant qu’il menaçait de détruire l’Abîme, de la rejeter elle-même au dégoût de la médiocrité. Si elle le laissait agir, c’était fini de son bonheur, il lui volait tout ce qu’elle aimait de la vie. Et, sous sa grâce, prise d’une furie meurtrière, elle ne songea plus qu’à