Page:Zola - Travail.djvu/367

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Fernande passa la journée dans sa chambre, réfléchissant, discutant. D’abord, elle se demanda si ce que disait Nanet était bien la vérité certaine. Mais comment douter  ? Il savait, il avait certainement vu, entendu, il aimait trop sa sœur pour mentir sur elle  ; et, d’ailleurs, tous les petits faits réunis rendaient cette histoire vraisemblable, évidente. Puis, Fernande chercha comment elle pouvait utiliser une pareille arme, que le hasard mettait ainsi dans sa main. Confusément encore, elle rêvait d’empoisonner cette arme, de la rendre mortelle. Jamais elle n’avait haï Luc davantage, Delaveau n’était allé à Paris que pour tâcher de négocier un nouvel emprunt, l’Abîme périclitant un peu plus chaque jour, et quelle victoire assurée, si elle parvenait à supprimer le maître exécré de la Crêcherie, l’homme qui compromettait sa vie de luxe et de plaisirs  ! Mort l’ennemi, morte la concurrence, la défaite possible. Avec un jaloux comme Ragu, ivre, furieux, les événements pouvaient se précipiter. Il suffirait sans doute de lui faire sortir son couteau de la poche. Seulement, elle ne recommençait toujours là qu’un rêve, comment le réaliser, comment agir  ? Avertir Ragu, lui nommer l’homme dont il cherchait à connaître le nom depuis trois mois, c’était évidemment le plan indiqué, et la difficulté ne commençait qu’ensuite, lorsqu’elle venait à se demander de quelle façon elle avertirait Ragu, où et par qui. Elle s’arrêta enfin à une lettre anonyme, elle découperait des mots dans un journal, elle les collerait, attendrait la nuit pour aller jeter la lettre à la poste. Même elle avait commencé à découper les mots. Et, brusquement le moyen lui parut peu sûr, d’une efficacité amoindrie, car une lettre est froide, on peut la négliger. Si Ragu n’était pas, d’un coup, pique au sang, exaspéré Jusqu’à la démence, frapperait-il jamais  ? Il fallait qu’on lui entrât la vérité dans la peau, qu’il la reçût en plein visage, et en de telles circonstances, qu’il en devînt fou.