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ne pouvons refaire de Fauchard un homme libre et joyeux  !   »

Puis, il ajouta, d’un air d’allégresse plaisante  :

«  Encore une famille, encore une maison ajoutée aux autres. Ça se peuple, n’est-ce pas  ? Bonnaire, nous voilà partis pour une belle et grande ville, la ville dont je vous ai tant parlé, dès le début, et à laquelle vous ne pouviez croire. Vous rappelez-vous  ? l’expérience vous laissait inquiet, vous n’étiez guère avec moi que par raison et par reconnaissance… Êtes-vous au moins convaincu, maintenant  ?   »

Bonnaire un peu gêné, ne répondit pas tout de suite. Pourtant, il finit par dire, avec sa franchise  :

«  Est-ce qu’on est jamais convaincu  ? Il faut toucher les résultats du doigt… Sans doute, l’usine est prospère, notre association s’élargit, l’ouvrier vit mieux, il y a un peu plus de justice et de bonheur. Mais vous connaissez mes idées, monsieur Luc  : tout cela, c’est encore le salariat maudit, je ne vois pas que la société collectiviste se réalise.  »

D’ailleurs, le théoricien seul maintenant se défendait en lui. S’il ne lâchait pas ses idées, comme il disait, il se montrait admirable de foi dans le travail, d’activité et de courage. Il était le héros ouvrier, le vrai chef qui avait décidé de la victoire de la Crêcherie, en donnant aux camarades un fraternel exemple de solidarité. Quand il apparaissait dans les halles, si grand, si fort, si bonhomme, toutes les mains se tendaient. Et il était conquis, déjà plus qu’il ne voulait le dire, ravi de voir les camarades souffrir moins, goûter à toutes les joies, vivre dans des demeures saines, avec des fleurs autour d’eux. Il ne s’en irait donc pas, sans que le vœu de toute sa vie fût rempli, celui qu’il y eût moins de misère et plus d’équité.

«  Oui, oui, la société collectiviste, dit Luc qui riait, le connaissant bien, nous la réaliserons, nous réaliserons