« C’est un enfant qui a volé un pain. »
Maintenant, la foule violente et hargneuse remontait la rue, au galop. L’événement avait dû se produire plus haut, vers la boulangerie Mitaine. Des femmes criaient, un vieillard tomba, qu’il fallut ramasser. Un gros gendarme courait si fort, au milieu des groupes, qu’il renversa deux personnes.
Luc lui-même s’était mis à courir, emporté dans le coup de panique général. Et il passa près du président Gaume, qui disait de sa voix lente au capitaine Jollivet :
« C’est un enfant qui a volé un pain. »
La phrase revenait, comme scandée par le galop de la foule. Mais on se bousculait, on ne voyait toujours rien. Les marchands, sur le seuil de leurs boutiques, pâlissaient, prêts à fermer les volets. Déjà un bijoutier enlevait les montres de sa vitrine. Il y eut un grand remous autour du gros gendarme qui jouait des coudes.
Et Luc, près duquel couraient aussi le maire Gourier et le sous-préfet Châtelard, surprit de nouveau la phrase, le murmure dolent, et grandissant, avec son petit frisson :
« C’est un enfant qui a volé un pain. »
Alors, Luc qui arrivait devant la boulangerie Mitaine, dans le sillon du gros gendarme, le vit se ruer pour prêter main-forte à un camarade, un gendarme maigre et long, qui tenait fortement par le poignet un enfant de cinq à six ans. Et Luc reconnut Nanet, avec sa tête blonde ébouriffée, qu’il portait quand même très haute, de son air résolu de petit homme. Il venait de voler un pain, à l’étalage de la belle Mme Mitaine : le vol était indéniable, car il tenait encore le grand pain, presque aussi haut que lui ; et c’était donc bien ce vol d’un enfant qui venait de soulever, de bouleverser ainsi toute la rue de Brias. Des passants, l’ayant aperçu, l’avaient dénoncé au gendarme, qui s’était mis à courir. Mais l’enfant filait vite, disparaissait au milieu des groupes, et le gendarme