Page:Zola - Travail.djvu/416

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en héros, toujours debout, donnant son intelligence, donnant sa vie, dans l’espoir de sauver, encore le passé croulant qu’il soutenait, l’autorité, le salariat, la société bourgeoise et capitaliste, et dans le désir âprement honnête de faire rendre au capital mis entre ses mains les rentes qu’il avait promises.

Au fond, la pire souffrance de Delaveau était ainsi de ne plus pouvoir assurer à Boisgelin les bénéfices auxquels il s’était engagé  : et son échec se matérialisait cruellement, les jours où il devait lui refuser de l’argent. Bien que le dernier inventaire eût été désastreux, Boisgelin entendait ne rien retrancher du train de la Guerdache, excité par Fernande elle-même, qui traitait son mari en bête de labour, qu’il fallait piquer au sang pour en tirer tout son effort. Depuis la violence affreuse de Ragu, cachée et gardée au plus profond de sa chair, elle était comme affolée de jouissance, jamais elle ne s’était montrée ardente à ce point, insatiable. On la trouvait rajeunie, embellie, avec quelque chose d’éperdu dans les yeux, comme un désir de l’impossible, inassouvi toujours. Elle apparaissait aux amis de la maison très inquiétante, le sous-préfet Châtelard disait en confidence au maire Gourer que cette petite femme-là commettrait certainement quelque grosse sottise, dont ils auraient tous à souffrir. Jusque-là, elle s’était contentée de changer son ménage en enfer, par son ardeur gaspilleuse à lancer Boisgelin sur son mari, en de continuelles demandes d’argent, ce qui jetait Delaveau dans de telles exaspérations, qu’il en grondait la nuit, jusque sur l’oreiller conjugal. Elle, méchamment, l’aiguillonnait par des observations maladroites, achevait de retourner le fer au fond de la blessure. Et il l’adorait toujours, il la mettait à l’écart, innocente, sans tare possible, dans le culte qu’il avait voué à son charme souple et délicieux.

Novembre vint, avec de grands froids précoces. Ce mois-là,