Page:Zola - Travail.djvu/428

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les coups cadencés du marteau-pilon, ce branle du travail qui, sans arrêt, berçait ses jours et ses nuits. Cela lui arrivait de très loin comme une voix connue, dont le clair langage achevait de lui conter l’effroyable aventure. Tout ce que ce marteau avait forgé de richesse, n’était-ce point Fernande qui l’avait dévoré, de ses petites dents blanches, d’un émail inaltérable  ? Cette pensée brûlante lui envahissait le crâne, elle était la dévoratrice, la cause du désastre, des millions mangés, de la faillite inévitable et prochaine. Pendant que lui se dévouait héroïquement pour tenir ses promesses, travaillait dix-huit heures par jour, tâchait de sauver le vieux monde croulant, c’était elle qui rongeait l’édifice, qui remplissait son rôle de pourriture. Elle vivait là, près de lui, l’air si tranquille, la face tendre et souriante, et elle était pourtant le poison, la destruction, minant tout ce qu’il tentait, paralysant son effort, anéantissant son œuvre. Oui, la ruine était là, toujours présente, à sa table, dans son lit, et il ne la voyait pas, et elle avait ébranlé et broyé tout de ses petites mains souples, de ses petites dents blanches. Un souvenir lui revint, les nuits où elle rentrait de la Guerdache, grise des caresses de son amant, des vins bus, des valses dansées, de l’argent jeté à pleines mains, et où elle cuvait son ivresse sur l’oreiller conjugal, tandis que lui, l’innocent, l’imbécile, allongé près d’elle, les yeux grands ouverts dans les ténèbres, se torturait le cerveau pour sauver l’Abîme, en évitant de l’effleurer même d’une caresse, par crainte de troubler son sommeil. Et ce fut l’horreur suprême, la fureur folle qui lui fit crier  :

«  Tu vas mourir  !   »

Elle se redressa dans le fauteuil, les deux coudes appuyés, sa chair nue, son délicieux visage de nouveau en avant, sous le casque noir de son admirable chevelure.