Page:Zola - Travail.djvu/468

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tragiquement sur une route d’Italie, après avoir poussé son père au suicide, en lui volant une maîtresse et l’argent de sa fin de mois. Enfin, c’était sa petite-fille Suzanne, la tendre, la sage, la bien-aimée, dont le mari, Boisgelin, après avoir racheté l’Abîme et la Guerdache, achevait la dévastation. L’Abîme était en cendres, chaud encore de l’incendie qui l’avait ravagé, vengeur des sottises et des souillures. La Guerdache, où il espérait voir pulluler sa race, étendait son désert autour de lui, ses salons vides son parc morne, au travers duquel ne passait plus que le fantôme pâle de l’empoisonneuse, de la corruptrice, cette Fernande qui venait de consommer la ruine. Et, pendant que ceux de sa race succombaient ainsi, les uns après les autres, ébranlant, emportant œuvre de son père et la sienne, il avait vu se dresser, en face une couvre nouvelle, la Crêcherie, toute prospère maintenant, toute vivante de l’avenir qu’elle apportait. Et il savait ces choses, parce qu’elles s’étaient passées devant ses yeux clairs, au cours de ses continuelles promenades, des heures de muette contemplation, où il se revoyait devant l’Abîme au moment de la sortie des ouvriers devant la Crêcherie, dont les vieux ouvriers, déserteurs de sa maison, le saluaient, devant l’Abîme encore, le matin où il ne restait de cette maison si aimée que des décombres fumants.

«  Il faut rendre, il faut rendre, il faut rendre…  »

Ce cri qu’il ne cessait de jeter, au milieu de son flot lent de paroles, qu’il accentuait chaque fois avec plus d’énergie, montait comme la conséquence même des faits désastreux dont il avait tant souffert. Si les choses, à son entour, avaient si rapidement croulé, n’était-ce pas que la fortune acquise par le travail des autres était empoisonnée et empoisonneuse  ? La jouissance qu’elle procure est le plus certain des ferments destructeurs, elle abâtardit la race, elle désorganise la famille, elle