Page:Zola - Travail.djvu/479

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des fêtes coûteuses, les galops des chevaux, les abois des chiens, mais où les petits de ce monde jouissaient enfin de la santé du plein air, de la joie reposante des grands arbres Tout le luxe du domaine magnifique était désormais pour eux, la maison de convalescence leur ouvrait ses chambres claires, ses salons aimables, ses cuisines abondantes, le parc leur réservait ses allées ombreuses, ses sources cristallines, ses gazons où des jardiniers entretenaient à leur intention des corbeilles de fleurs embaumées. Ils reprenaient là leur part, refusée si longtemps, de beauté et de grâce. Et cela était délicieux, cette enfance cette jeunesse, cette maternité, souffrantes depuis des siècles enfermées dans des taudis sans soleil, mourant d’immonde misère, et brusquement appelées à la joie de la vie, à la part de bonheur de toute créature humaine, à ce luxe d’être heureux, que d’innombrables générations de misérables avaient regardé de loin, sans pouvoir y toucher.

Puis, comme le couple, suivi des parents, au bout d’une rangée de saules, arrivait à une mare d’une limpidité de miroir, sous le ciel bleu, Luc se mit à rire doucement.

«  Ah  ! mes amis, quel bon et gai souvenir me revient  ! Vous en doutez-vous  ? C’est au bord de cette eau, si calme, que Paul et Antoinette se sont fiancés il y a vingt ans de cela.  »

Il rappela la scène délicieuse d’enfance qu’il avait vue jadis, lors de sa première visite à la Guerdache  : l’invasion populaire des trois pauvres gamins de la rue, le petit Nanet amenant ses petits camarades, Lucien et Antoinette Bonnaire, au travers d’une haie, pour jouer près de la mare  ; et l’invention ingénieuse de Lucien, le bateau qui marchait tout seul sur l’eau  ; et l’arrivée des trois petits bourgeois, Paul Boisgelin, Nise Delaveau, Louise Mazelle, émerveillés du bateau, fraternisant tout de suite, et les couples qui s’étaient naturellement formés, les fiançailles,