Page:Zola - Travail.djvu/481

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Boisgelin, qui n’écoutait pas, regardait ce parc, son ancien domaine d’un air morne où il n’y avait même plus d’amertume, tellement le monde nouveau le bouleversait et l’hébétait. Et la promenade continua par les allées ombreuses, Luc et Suzanne se taisant n’échangeant plus que des sourires de délicieuse joie.

Mais l’avenir, déjà, se réalisait un peu plus chaque jour. Et comme tous rentraient à la Guerdache, ils s’arrêtèrent un moment devant la façade, à gauche du perron, sous les fenêtres mêmes de la chambre où M. Jérôme était mort. De là, entre les cimes des grands arbres, on apercevait au loin les toitures de Beauclair, puis la Crêcherie et l’Abîme. En silence, ils contemplèrent ce vaste horizon. On distinguait nettement l’Abîme reconstruit sur le modèle de la Crêcherie ne formant plus avec elle qu’une même ville du travail, réorganisé, ennobli, devenu l’orgueil, la santé et la gaieté. Davantage de justice et d’amour y naissait chaque matin. Et le flot des petites maisons rieuses, parmi les verdures, ce flot que Delaveau inquiet avait vu s’avancer toujours, venait d’envahir les anciens terrains noirs, élargissant sans arrêt la Cité future. Maintenant, elles tenaient tout l’espace, de la rampe des monts Bleuses à la Mionne, elles allaient bientôt franchir l’étroit torrent, pour balayer le vieux Beauclair, l’amas sordide des masures de servitude et d’agonie. Et elles s’avanceraient encore, encore, bâtissant pierre à pierre, sous le soleil fraternel, jusqu’aux champs fertiles de la Roumagne, la Cité enfin libre, juste et heureuse.