Aller au contenu

Page:Zola - Travail.djvu/504

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pousser les roses, sans même se donner la fatigue de causer entre eux.

«  Tu comprends, dit Mazelle, nous ferons ce que ces messieurs nous conseilleront de faire. Ils en savent plus long que nous, et personne ne pourra nous blâmer de suivre leurs avis… Moi, je commence à ne plus sentir ma tête, avec toute cette histoire qui m’emplit le cerveau du matin au soir.

— Moi aussi, dit Mme Mazelle. Ce n’est pas une existence, de toujours réfléchir. Rien n’est plus mauvais pour ma maladie, je le sens bien.  »

Le thé fut servi dans le jardin, sous un berceau de roses, par ce bel après-midi ensoleillé. Et ce fut le sous-préfet Châtelard et le maire Gourier qui se rendirent les premiers à l’invitation. Ils étaient restés inséparables, un lien plus fort semblait même s’être noué entre eux, depuis qu’ils avaient perdu Mme Gourier, la toujours belle Léonore. Pendant cinq ans, ils venaient de la garder infirme, clouée dans un fauteuil par une paralysie des jambes, entourée de petits soins, le bon ami suppléant le mari, la veillant, lui faisant des lectures, aux heures où ce dernier s’absentait. Jamais liaison plus paisible ne s’était prolongée ainsi, jusqu’au bout. Et c’était dans les bras de Châtelard que Léonore était morte, tout d’un coup, un soir qu’il l’aidait à prendre une tasse de tilleul pendant que Gourier fumait dehors un cigare. Lorsque celui-ci était rentré, tous deux l’avaient pleurée ensemble. Maintenant, ils ne se quittaient guère, dans les loisirs que l’administration de la ville leur laissait, car ils ne l’administraient plus que théoriquement, après de mûres et sages délibérations, au cours desquelles le sous-préfet avait décidé le maire à suivre son exemple, fermer les yeux, laisser aller les choses, ne pas se gâter la vie en se mettant en travers de l’évolution, dont personne au monde n’arrêterait la marche