Page:Zola - Travail.djvu/523

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enfermé, quand il s’était aperçu que sa fille et son fils pactisaient avec les autres, ceux de demain. Ma-Bleue avait eu d’Achille une fillette délicieuse, Léonie, qui grandissait en grâce et en tendresse. Petit-Da venait d’avoir d’Honorine un garçon fort et charmant, Raymond, un intelligent petit homme qui bientôt serait en âge d’être à son tour marié. Mais le grand-père ne se laissait pas attendrir, il repoussait les enfants, il s’obstinait même à ne pas les voir. C’étaient des choses, pour lui, se passant dans l’autre monde, et il n’en était point ému. Au contraire, sous l’écroulement de ses affections humaines, la sorte de passion paternelle qu’il avait toujours eue pour son haut fourneau, semblait grandir. Il voyait en lui son enfant géant, le monstre grondant d’un perpétuel incendie, dont il soignait nuit et jour, heure par heure, les digestions de flammes. Les moindres dérangements, lorsque les coulées perdaient de leur éclat, le jetaient à des angoisses tendres  ; et il passait les nuits blanches, surveillait le bon fonctionnement des tuyères, se dévouait comme un jeune homme amoureux, au milieu des braises, dont sa peau ne paraissait plus craindre l’atroce cuisson. Luc, après avoir parlé de le mettre à la retraite, inquiet de son grand âge, n’avait pas eu la force de prendre cette mesure, devant la révolte frémissante, le chagrin inconsolable de ce héros du travail douloureux, si fier de s’être usé et brûlé les muscles dans sa tâche obscure de conquérant du feu. L’heure de la retraite allait sonner d’elle-même, par l’inévitable évolution des progrès en marche, et Luc eut la bonté compatissante d’attendre.

Déjà, Morfain s’était senti menacé. Il n’ignorait point les recherches savantes que faisait le maître Jordan, afin de remplacer le haut fourneau, si lourd, si lent, si barbare en son enfer peu maniable, par des batteries légères et promptes de fours électriques. L’idée qu’on pouvait