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longues courses à pied, pour le plaisir de revoir le pays, en évoquant de vieux souvenirs. Et il était arrivé justement à l’endroit de la route où s’ouvrait, autrefois, la porte de l’Abîme, depuis longtemps disparu. Là aussi se trouvait alors, jeté sur la Mionne, un pont de bois, dont il ne restait plus trace, car on avait couvert le torrent sur une centaine de mètres, pour faire passer un large boulevard. Que de changements  ! Qui aurait reconnu l’ancien seuil boueux et noir de l’usine maudite, à cette place, au tournant de cette avenue si calme, si claire, bordée de maisons riantes  ? Et, comme il s’arrêtait un instant, dans sa haute taille, dans sa grande beauté de vieillard heureux, il eut la vive surprise d’apercevoir, échoué sur un banc, un autre vieil homme, mais qui paraissait détruit par la misère, les vêtements en loques, la face ruinée, embroussaillée de poils, le corps amaigri, tremblant de toutes les fièvres mauvaises.

«  Un pauvre  !   » murmura-t-il, parlant à voix haute, dans son étonnement.

C’était bien un pauvre, et il y avait des années déjà qu’il n’en avait plus rencontré. À la vérité, celui-ci, visiblement, n’était pas du pays. Les souliers et les vêtements blancs de poussière, il devait être tombé là de fatigue, à l’entrée de la ville, après des jours et des jours de marche. Son bâton et sa besace vide, échappés de ses mains lasses, gisaient à ses pieds. L’air épuisé, les yeux errants, il regardait autour de lui, en homme perdu, qui ne sait plus où il est.

Très apitoyé, Bonnaire s’avança.

«  Mon pauvre homme, puis-je venir à votre aide  ? … Vous êtes à bout de force et vous semblez dans une grande peine.  »

Puis, comme le pauvre ne répondait pas, les regards toujours effarés, allant d’un point de l’horizon à l’autre  :

«  Avez-vous faim  ? Avez-vous besoin d’un bon lit  ? Je