Page:Zola - Travail.djvu/639

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de la rampe des monts Bleuses, dans cette partie de l’ancien parc exposée en plein midi et dont l’astre faisait autrefois déjà un paradis débordant de fruits et de fleurs. Des tours dominaient les vastes constructions, d’immenses toitures d’acier et de vitres les reliaient, sans qu’on vît rien autre du dehors, tous les câbles, conducteurs de la force passant sous terre. Puis, Jordan acheva sa visite, en se faisant arrêter un instant encore dans la cour centrale, d’où il promena un suprême et long regard autour de lui, sur ce monde nouveau, cette source d’éternelle vie, sa création, la passion de son existence entière. Et il se tourna vers Sœurette, qui ne l’avait pas quitté, suivant pas à pas le fauteuil, où deux hommes le transportaient.

«  Allons, dit-il avec un sourire, c’est fini, et c’est très bien, je puis m’en aller à présent… Rentrons chez nous, ma sœur.  »

Il était très gai, radieux d’avoir vu son œuvre complète et debout, en bon travailleur qui va pouvoir enfin se reposer. Mais comme sa sœur, pour le promener un peu, par ce beau temps avait donné aux hommes l’ordre de faire un détour, il se trouva tout d’un coup, au sortir d’une allée, devant le pavillon où Luc habitait, immobilisé lui aussi, les jambes lourdes, ne sortant plus. Depuis plusieurs mois, les deux amis n’avaient pu se voir. Ils en étaient réduits à correspondre, ils avaient seulement de leurs nouvelles par leurs chères gardiennes, leurs bons anges, toujours en chemin de l’un à l’autre. Et un désir encore, le dernier de son cœur, souleva le mourant, dans le bon sommeil qui commençait à l’envahir.

«  Oh  ! je t’en prie, ma sœur, arrête-moi là, sous cet arbre, au bord de ces hautes herbes… Toi, monte tout de suite chez Luc, préviens-le, dis-lui que je passe et que je suis devant sa porte, à l’attendre.  »

Sœurette, surprise, un peu inquiète de la grosse émotion d’une telle entrevue, hésita un instant.