Page:Zola - Travail.djvu/646

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«  Vous le voyez, mon ami, j’étais aussi révolutionnaire que vous.

— Je le sais, mon ami, répondit Luc, avec une tendresse émue. Vous avez été mon maître en toutes choses, et jamais je ne vous remercierai assez de vos admirables leçons d’énergie, de votre foi superbe dans le travail et dans l’œuvre.  »

Le soleil baissait, un léger frisson venait de passer parmi les branches du grand tilleul, d’où la poussière d’or de l’astre tombait plus pâle. C’était la nuit prochaine, un repos délicieux envahissait lentement les hautes herbes. Et les trois femmes, debout, toujours muettes et attentives, s’en inquiétèrent, respectueuses pourtant de cet entretien suprême, dont l’émotion les immobilisait. Elles intervinrent avec douceur, sans une parole, d’un simple geste maternel.

Alors, comme Josine et Sœurette le couvraient à son tour, Luc dit simplement  : «  Je n’ai pas froid, la soirée est si belle  !   »

Mais, Sœurette s’étant tournée pour regarder le soleil à l’horizon, sur le point de disparaître, Jordan suivit son regard.

«  Oui, la nuit tombe, reprit-il. Le soleil peut se coucher, il nous laisse, dans nos granges, de sa bonté et de sa force… Et, cette fois, s’il se couche, c’est donc que ma journée est finie. Je vais aller dormir… Adieu, mon ami.

— Adieu, mon ami, répéta Luc. Je dormirai bientôt de même.  »

C’étaient les adieux, ils furent d’une poignante tendresse, d’une grandeur simple, extraordinaire. L’un et l’autre savaient qu’ils ne se verraient plus, ils se donnaient le dernier regard, ils se disaient les derniers mots. Et, après soixante années, passées à vivre la même œuvre commune, ils se séparaient pour n’être plus