Page:Zola - Travail.djvu/67

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les aciers et les fers de commerce. Et Luc, s’étant perdu, au travers de cette petite ville, heureux d’y avoir rencontré des refuges déserts, des coins de cour noirs et paisibles, où il se sentait revivre, se retrouva tout d’un coup, rentra dans l’enfer, en s’apercevant qu’il était revenu à la halle des fours à creusets.

On y exécutait une autre manœuvre, soixante-dix creusets y étaient arrachés à la fois, pour la fonte d’une grosse pièce de forge, qui devait peser dix-huit cents kilos. Dans la halle voisine, le moule avec son entonnoir, attendait, debout au fond de la fosse. Et, vivement, le défilé s’organisa, tous les aides des équipes s’y mirent, deux hommes pour un creuset, le soulevant à l’aide de la double pince, l’emportant d’un pas allongé et souple. Un autre, puis un autre, puis un autre, les soixante-dix suivirent, en une procession éclatante. On eût dit un ballet de fête, des lanternes vénitiennes, d’un rouge orangé, que des danseuses vagues, aux légers pieds d’ombre, promenaient deux à deux ; et la merveille était la rapidité extraordinaire, la sûreté parfaite des mouvements si bien réglés, qui les montraient jouant ainsi au milieu du feu, accourant, se frôlant, s’en allant, revenant, comme s’ils eussent jonglé avec des étoiles en fusion. En moins de trois minutes, les soixante-dix creusets furent versés dans le moule, d’où montait une gerbe d’or, un bouquet grandissant d’étincelles.

Lorsque Luc revint enfin à la halle des fours à puddler et des laminoirs, après sa promenade d’une grande demi-heure, il trouva Bonnaire en train d’achever sa besogne.

« Monsieur, je suis à vous à l’instant. »

Déjà, sur la sole incendiée du four, dont la porte ouverte flamboyait, il avait à trois reprises isolé un quart du métal incandescent, cinquante kilos de matière, qu’il roulait et façonnait en une sorte de boule, à l’aide du ringard ; et les trois, l’une après l’autre, s’en étant allées sous le marteau-cingleur,