Page:Zola - Travail.djvu/80

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du système, lorsqu’il serait mis en pratique, toute une machine compliquée de direction et de contrôle, qui nécessiterait une police d’État vexatoire et dure. Et Luc, qui n’allait point encore jusque là, dans son besoin humanitaire, lui ayant fait des objections, Bonnaire lui répondit, avec la tranquille foi du croyant :

« Tout nous appartient, nous reprendrons tout, pour que chacun ait sa juste part de travail et de repos, de peine et de joie. Il n’y a pas d’autre solution raisonnable, l’injustice et la souffrance sont devenues trop grandes. »

Ragu et Bourron eux-mêmes en tombèrent d’accord. Est-ce que le salariat n’avait pas tout corrompu, tout empoisonné ? C’était lui qui soufflait la colère et la haine, en déchaînant la lutte des classes, la longue guerre d’extermination que se livraient le capital et le travail. C’était par lui que l’homme était devenu un loup pour l’homme, dans ce conflit des égoïsmes, dans cette monstrueuse tyrannie d’un état social basé sur l’iniquité. La misère n’avait pas d’autre cause, le salariat était le ferment mauvais qui engendrait la faim, avec toutes ses conséquences désastreuses, le vol, le meurtre, la prostitution, l’homme et la femme déchus, rebelles, jetés hors de l’amour, lancés comme des forces perverties et destructives au travers de la société marâtre. Et il n’y avait qu’une guérison possible, l’abolition du salariat, qu’on remplacerait par l’état nouveau, l’autre chose, la chose rêvée, dont demain gardait encore le secret. Là, commençait la dispute des systèmes, chacun croyait détenir le bonheur du siècle futur, l’âpre mêlée politique n’était faite que du choc des partis socialistes, qui s’efforçaient d’imposer chacun sa réorganisation du travail, sa répartition équitable de la richesse. Mais le salariat, dans sa forme actuelle, n’en était pas moins condamné par tous ; et rien ne le sauverait, il avait fait son temps, il disparaîtrait, comme avait disparu autrefois l’esclavage, lorsqu’une