Page:Zola - Une farce, 1888.djvu/14

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pauvre enfant n’y songeait guère ; il tremblait fort, lorsqu’elle lui adressait la parole, et se sauvait, dès qu’il apercevait le bord de ses jupes dans les jardins. Son père, qui était un bon père, voyait tout et riait dans sa barbe. Mais comme la dame courait plus fort et que le baiser n’arrivait pas, il rougit d’avoir un tel fils, et donna lui même le baiser demandé, toujours pour sauvegarder la dignité de sa race.

— Ah ! le petit imbécile ! dit le roi qui avait de l’esprit.


II


Ce fut à vingt ans que Simplice devint complètement idiot. Il rencontra une forêt et tomba amoureux.

Dans ces temps anciens, on n’embellissait point encore les arbres à coups de ciseaux, et la mode n’était pas de semer le gazon ni de sabler les allées. Les branches poussaient comme elles l’entendaient : Dieu seul se chargeait de modérer les ronces et de ménager les sentiers. La forêt que Simplice rencontra était un immense nid de verdure, des feuilles et encore des feuilles, des charmilles impénétrables coupées par de majestueuses avenues. La mousse, ivre de rosée, s’y livrait à une débauche de croissance ; les églantiers, allongeant leurs bras flexibles, se cherchaient dans les clairières pour exécuter des danses folles autour des grands arbres ; les grands arbres eux-mêmes, tout en restant calmes et sereins, tordaient leur pied dans l’ombre et montaient en tumulte baiser les rayons d’été. L’herbe verte croissait au hasard, sur les branches comme sur le sol ; la feuille embrassait le bois, tandis que, dans leur hâte de s’épanouir, pâquerettes et myosotis, se trompant parfois, fleurissaient sur les vieux troncs abattus. Et toutes ces branches, toutes ces herbes, toutes ces fleurs chantaient ; toutes se mêlaient, se pressaient pour babiller plus à l’aise, pour se dire tout bas les mystérieuses amours des corolles. Un souffle de vie courait au fond des taillis ténébreux, donnant une voix à chaque brin de mousse dans les ineffables concerts de l’aurore et du crépuscule. C’était la fête immense du feuillage.

Les bêtes à bon Dieu, les scarabées, les libellules, les papillons, tous les beaux amoureux des haies fleuries, se donnaient rendez-vous aux quatre coins du bois. Ils y avaient établi leur petite république ; les sentiers étaient leurs sentiers ; les ruisseaux, leurs ruisseaux ; la forêt, leur forêt. Ils se logeaient commodément au pied des arbres, dans les feuilles sèches, vivaient là comme chez eux, tranquillement