Page:Zola - Vérité.djvu/100

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au juge de chercher le coupable. Et celui-ci venait de lancer sur les routes toute la gendarmerie du département, on avait arrêté, puis relâché une cinquantaine de chemineaux, sans arriver à tenir la moindre piste raisonnable. Un colporteur était même resté trois jours sous les verrous, inutilement. De sorte que Daix, forcé d’écarter l’hypothèse du rôdeur, ne se retrouvait toujours que devant le modèle d’écriture, l’unique pièce du procès, sur laquelle il lui faudrait bâtir toute son accusation. Aussi le calme avait-il fini par se faire dans l’esprit de Marc et de David, car il leur semblait impossible qu’une accusation sérieuse pût être basée sur cette pièce, d’une importance si discutable. Comme le répétait David, on n’avait pas trouvé le rôdeur, mais l’hypothèse de son existence, le doute, n’en existait pas moins. Et, si l’on ajoutait à cela le manque de preuves contre Simon, les invraisemblances morales, son continuel cri d’innocence, comment croire qu’un juge d’instruction de quelque conscience pût conclure à la culpabilité ? Un non-lieu était certain, ils y comptèrent bientôt formellement.

Cependant, certains jours, Marc et David, qui agissaient fraternellement ensemble, perdaient un peu de leur belle confiance. De mauvais bruits leur arrivaient, depuis que le non-lieu paraissait devoir s’imposer, comme un simple acte de bon sens. Un innocent condamné, c’était le vrai coupable pour toujours à l’abri. Et la congrégation s’agitait désespérément. On avait vu le père Crabot multiplier ses visites mondaines à Beaumont, dîner dans l’Administration et dans la Magistrature, jusque dans l’Université. Enfin, de partout, la bataille s’enrageait, à mesure que le Juif semblait avoir plus de chances d’être relâché. Et ce fut alors que David eut l’idée d’intéresser au cas de son frère le baron Nathan, le grand banquier, l’ancien propriétaire de la Désirade. Justement,