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Page:Zola - Vérité.djvu/211

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d’une seule injustice, pour qu’un peuple en meure lentement, frappé de démence.

Marc, pendant quelque temps, fut donc tout entier à son œuvre scolaire, convaincu qu’il travaillait à l’unique façon de détruire l’iniquité, de la réparer et d’en rendre le retour impossible, en répandant la connaissance, en semant la vérité dans les générations à venir. Rude besogne, dont il n’avait jamais senti à ce point les terribles difficultés. Il se vit seul, il eut conscience d’avoir contre lui, et ses élèves, et leurs parents, et Mignot son adjoint, et Mlle Rouzaire, l’institutrice voisine, dont la classe n’était séparée de la sienne que par leurs logements, presque communs. D’autre part, le moment était désastreux, l’école des frères avait encore gagné cinq élèves sur l’école laïque, pendant le dernier mois. C’était comme un vent d’impopularité qui soufflait, les familles allaient aux ignorantins, pour sauver leurs enfants des abominations du nouvel instituteur, qui s’était permis de supprimer la prière, le jour même de son entrée en fonction. Le frère Fulgence, triomphant, avait de nouveau avec lui les frères Gorgias et Isidore, disparus un moment après l’affaire Simon, rappelés sans doute pour montrer que la communauté se déclarait désormais au-dessus du soupçon ; et, si le troisième, le frère Lazarus, n’était pas là aussi, c’était simplement qu’il venait de mourir. Ils tenaient le haut du pavé, on ne voyait plus que des soutanes dans les rues de Maillebois. Mais le pis encore, pour Marc, fut le mépris moqueur où tout ce monde semblait le tenir. On ne daignait même pas le combattre violemment, on attendait qu’il se suicidât, par quelque énorme folie. L’attitude de Mignot, le premier jour, était devenue celle du pays entier : une curiosité méchante, la conviction d’un échec rapide et scandaleux. Mlle Rouzaire avait dit : « Je ne lui donne pas deux mois pour se rendre impossible. » Et, surtout, il sentit cet espoir de ses adversaires,