Page:Zola - Vérité.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pouvait se remettre, Mignot le regardait, effaré. Et il fallut que Marc lui-même s’étonnât.

— Simon est sûrement chez lui… On ne l’a donc pas prévenu ?

— Ma foi, non ! cria l’adjoint. Je ne sais plus où j’ai la tête !… M. Simon avait hier soir un banquet à Beaumont, mais il est rentré certainement cette nuit. Sa femme est un peu souffrante, il doivent être encore couchés.

Il était sept heures et demie déjà, mais le ciel orageux restait si lourd, si bas, qu’on aurait dit une aube louche, dans ce coin solitaire de la place. Et l’adjoint se décida, monta chez Simon. Un joli réveil, comme il le disait, une commission agréable qu’il avait à remplir auprès de son directeur !

Simon était fils d’un petit horloger juif de Beaumont, et il avait un frère, David, son aîné de trois ans. Il venait d’avoir quinze ans, et son frère dix-huit, lorsque leur père, ruiné par des procès, était mort d’une brusque congestion. Trois ans plus tard, leur mère s’éteignit à son tour, dans une grande gêne. Simon venait d’entrer à l’École normale, tandis que son frère David prenait le parti de s’engager. Sorti de l’École en très bon rang, il resta instituteur adjoint à Derbecourt, un gros bourg voisin, pendant près de dix années. Ce fut là qu’à vingt-six ans il épousa par amour sa femme, Rachel Lehmann, la fille du petit tailleur de la rue du Trou, qui avait à Maillebois une assez bonne clientèle. Elle était d’une grande beauté, une brune à la chevelure magnifique, aux larges yeux de caresse, et son mari l’adorait, l’entourait d’un culte passionné. Deux enfants déjà leur étaient nés, un petit garçon de quatre ans, Joseph, une fillette de deux, Sarah. Et, pourvu de son certificat d’aptitude pédagogique, il se montrait fier d’être, à trente-deux ans, titulaire à Maillebois, où il se trouvait depuis deux années,