Page:Zola - Vérité.djvu/240

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voilà, c’est vrai, j’ai eu ce papier, mais il n’existe plus, je l’ai détruit.

Elle respira, comme soulagée, ayant trouvé ce qu’il fallait dire, pour être d’un coup débarrassée d’inquiétude.

— Vous l’avez détruit ! cria Marc douloureusement. Oh madame Alexandre !

Un peu d’embarras la reprit, elle chercha de nouveau ses paroles.

— J’ai eu tort peut-être… Seulement, songez à notre situation. Nous sommes deux pauvres femmes sans soutien. Et puis, nos enfants mêlés à cette abominable affaire, c’était si triste… Je n’ai pas voulu garder un papier qui m’empêchait de dormir, je l’ai brûlé.

Et elle était si frémissante encore, que Marc la regarda. Grande et blonde, avec son doux visage de femme tendre, elle lui parut souffrir d’un tourment caché. Un instant, il eut un soupçon, il se demanda si elle ne mentait point. Et il voulut la soumettre à une épreuve.

— En détruisant ce papier, c’est vous, madame Alexandre, qui avez condamné l’innocent une seconde fois… Songez à tout ce qu’il endure, là-bas, au bagne. Ses lettres, si je vous les lisais, vous mettraient en larmes. Il n’est pas de pire douleur, le climat meurtrier, la dureté des gardiens, et par-dessus tout le sentiment de son innocence, l’effroyable obscurité dans laquelle il se débat… Et quel cauchemar pour vous, si vous veniez à penser que c’est votre œuvre !

Elle était devenue très pâle, elle eut un mouvement involontaire de la main, écartant quelque horrible vision. Dans son être de bonté et de faiblesse, il ne sut s’il surprenait le frisson d’un remords ou d’un furieux débat. Un instant, éperdue, elle bégaya, comme si elle demandait un secours :

— Mon pauvre enfant, mon pauvre enfant…