Page:Zola - Vérité.djvu/247

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qu’on veut détruire, et même si l’on s’écarte de l’Église, on doit en respecter les ministres, qui font tant de bien.

Cette fois, il se tut, il sentit l’inutilité d’une telle querelle, à cette heure, au moment où les élèves allaient arriver. Le mal était-il donc si profond déjà ? Sa douleur venait de trouver, au fond de ce dissentiment, l’affaire Simon, la mission d’équité qu’il s’était donnée ; car toute concession de sa part serait impossible, aucun accord ne pourrait se produire. Depuis deux ans, l’affaire était ainsi à la naissance de chaque événement, comme la source empoisonnée qui pourrissait les gens et les choses, tant que justice ne serait pas faite. Et, jusque dans son ménage, l’empoisonnement avait lieu.

Voyant qu’il gardait le silence, Geneviève se dirigea vers la porte, en disant de nouveau, tranquillement :

— Je mène Louise chez grand-mère.

Alors, d’un geste prompt, Marc prit l’enfant, comme pour l’embrasser. Est-ce qu’il allait aussi la laisser prendre, cette fillette, cette chair de sa chair ? est-ce qu’il ne devait pas la garder dans ses bras, la sauver de la contagion imbécile et mortelle ? Un instant, il la regarda. Comme sa mère, comme sa grand-mère et son arrière-grand-mère, elle était déjà, à cinq ans, mince et longue. Mais elle n’avait plus leurs cheveux pâles et blonds, et elle avait le haut front des Froment, la tour inexpugnable de raison et de sagesse. Gentiment, elle jeta les deux bras autour du cou de son père, avec de grands rires.

— Tu sais, papa, je te dirai ma fable en rentrant, je la sais très bien.

Et Marc, une seconde fois, ne voulut pas de discussion, cédant à un scrupule de tolérance. Il rendit la fillette à sa mère, qui l’emmena. D’ailleurs, les élèves arrivaient, la classe se remplit rapidement. Mais une angoisse était restée au cœur du maître, à l’idée de la lutte qu’il avait résolu de livrer, en enlevant le crucifix du mur de l’école. Cette lutte, à présent, allait envahir jusqu’à son foyer. C’étaient ses larmes et celles des siens qui couleraient. Et d’un effort héroïque, il dompta cette souffrance, il appela le petit Sébastien, le moniteur, pour qu’il surveillât la lecture, tandis que lui, gaiement, au tableau, donnait une leçon de choses, dans la claire allégresse dont le soleil inondait la classe.