Page:Zola - Vérité.djvu/311

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ma femme et mes enfants sans un soutien, sans un homme qui gagne leur vie ? Mes huit ans de ce bagne universitaire, où les hommes de vérité ne peuvent ni parler ni agir, ne leur suffisent pas : ils ont besoin de me voler deux années encore, dans leur geôle de fer et de sang, toute cette obéissance passive nécessaire au savant apprentissage de la destruction et du massacre, dont la pensée seule m’exaspère. Ah ! non, c’est trop ! j’ai donné assez de moi, et ils finiront par me rendre enragé, à me demander davantage !

Très inquiet de le voir dans une exaltation pareille, Marc s’était efforcé de le calmer en lui promettant de s’occuper de sa femme et de ses filles. Dans deux ans, il reviendrait, on lui trouverait une situation, il pourrait recommencer sa vie. Mais il restait sombre, il mâchonnait des paroles de colère.

— Non, non ! je suis un homme fichu, jamais je ne ferai ces deux années tranquillement. Ils le savent bien, et c’est pour me tuer comme un chien enragé, qu’ils m’envoient là-bas.

Puis, Férou avait voulu savoir qui le remplaçait au Moreux. Et, en entendant le nom de Chagnat, un ancien adjoint de Brévannes, grosse commune voisine, il s’était mis à rire amèrement. Chagnat, petit homme noir, avec son front bas, sa bouche rentrée et son menton fuyant, était le parfait bedeau, pas même le Jauffre hypocrite, utilisant le bon Dieu pour son avancement, mais le croyant stupide, abêti au point d’accepter du curé les pires niaiseries. Sa femme, une rousse énorme, était encore plus bête que lui. Et l’amère gaieté de Férou avait augmenté, en apprenant l’abdication complète du maire Saleur, entre les mains de cet imbécile Chagnat, dont l’abbé Cognasse usait comme d’un sacristain dévoué, chargé par lui d’administrer le pays.

— Quand je vous disais autrefois que toute cette sale