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Page:Zola - Vérité.djvu/369

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l’ombre. Pour un Salvan qui se réjouissait avec Marc, à chacune de leurs entrevues, que d’autres ne dormaient plus la nuit, devant la menace de tant de cadavres gênants, près de sortir de terre ! À la veille des élections prochaines, les hommes politiques tremblaient d’y laisser leur mandat : le radical Lemarrois, l’ancien maire, indispensable jadis, regardait avec terreur monter la popularité de Delbos ; l’aimable Marcilly, toujours aux aguets de la victoire, perdait pied, ne savait plus de quel parti être ; les députés et les sénateurs réactionnaires, avec le farouche Hector de Sanglebœuf à leur tête, résistaient désespérément, en sentant monter l’orage qui devait les balayer. Dans l’Administration, dans l’Université, l’anxiété n’était pas moins grande, le préfet Hennebise se lamentait de ne pouvoir étouffer l’affaire, le recteur Forbes débordé se déchargeait sur l’inspecteur d’académie Le Barazer, le seul calme et souriant au milieu de la tourmente, tandis que le proviseur Depinvilliers continuait à mener ses filles à la messe comme on se jette à l’eau, et que l’inspecteur Mauraisin, angoissé, étonné de la façon dont tournaient les choses, se demandait si l’heure n’était pas venue de passer à la franc-maçonnerie. Mais, surtout, l’émoi était grand parmi la magistrature, car l’ancien procès révisé n’était-ce pas un procès nouveau fait aux premiers juges, et si l’on rouvrait le dossier, quelles révélations terribles allait-il en sortir ? Le juge d’instruction Daix, l’honnête malchanceux qui promenait le remords d’avoir cédé à l’âpre ambition de sa femme, ne se rendait plus que livide et muet à son cabinet du palais de justice. Le fringant procureur de la République, Raoul de La Bissonnière, s’y montrait au contraire d’une belle humeur, d’une liberté d’esprit excessives, où l’on devinait le désir torturé de ne rien laisser voir de ses craintes. Quant au président Gragnon, le plus compromis, il semblait avoir vieilli tout d’un coup, traînant